L’argent en psychothérapie

L’idée de cet article m’est venue un samedi soir, alors que je recevais mon dernier patient. L’heure de notre rendez-vous étant venue, il s’installe dans mon bureau. Comme à chaque première séance, j’annonce le cadre en expliquant mon approche thérapeutique, la durée de la séance, ainsi que son tarif. Cette personne n’avait pas regardé les informations en question, mise à disposition sur le site de réservation avant de venir. Il me regarde alors, éberlué, en expliquant qu’il vient d’une région où les tarifs des psychologues sont beaucoup moins élevés que ceux que je propose. Après avoir débriefé le pourquoi du comment avec lui, il m’indique qu’il souhaite couper court à notre rendez-vous et partir. Pour lui, il ne se voyait pas dépenser autant d’argent pour une consultation, même s’il en avait les moyens. Il quitte alors le cabinet. Je suis perplexe. Je savais bien que le sujet de l’argent en psychothérapie était sensible. Pour autant, je refuse que l’on en fasse un tabou. Alors dans cet article, on va parler cash et jouer cartes sur table.

La psychothérapie du cœur

Que ça soit au niveau collectif ou individuel, nous avons nos propres perceptions quant aux psychologues. Il y a beaucoup d’idées reçues liées à nos fonctions, ce que nous pouvons apporter et on ne sait pas nécessairement quand venir nous voir. Pourtant, nous sommes tous concernés par la santé mentale et vivons entourés de phénomènes étudiés par la psychologie. Certains s’en remettent même au développement personnel, parfois à l’opposé de l’approche des psychologues, pour mieux appréhender les choses. En couplant cela à un manque de communication de notre part avec le grand public, il en résulte un mélange d’intrigue et de fascination pour notre métier. Je profite donc de cet article pour reprendre ensemble quelques éléments qui nous concernent.

Être psychologue est un métier qui nécessite cinq années d’études post-bac. On connait d’ailleurs tous quelqu’un qui prétend être « un peu psychologue » à ses heures perdues. Comme vous vous en doutez sûrement, nous n’avons pas seulement appris à être disponible et à écouter pendant cinq ans.

Nous avons étudié différentes approches psychopathologiques, appris à manier divers outils thérapeutiques, approfondi tout ce qui touche aux émotions, aux pensées et aux comportements… La psychologie est un champ d’étude très vaste, et ne se résume pas à la psychologie clinique (celle qui prend en soin les souffrances psychiques). À cette approche viennent se greffer la psychologie sociale (qui étudie les phénomènes de groupe), la psychologie du développement (axée sur les évolutions liées à l’âge), et la psychométrie (l’évaluation des caractéristiques des individus), pour n’en citer que quelques uns. Lors de nos études, nous accédons également à des cours d‘anthropologie, de sociologie, de neurobiologie, de statistiques, et de recherche. Et la liste est loin d’être exhaustive. Rencontrer un psychologue qui a tous ces bagages, ce n’est définitivement pas la même chose que se confier au voisin !

Le psychologue exerce son métier suite à une formation longue et spécialisée. Il doit donc être rémunéré. La psychothérapie, c’est à dire l’accompagnement psychologique que nous proposons aux personnes qui viennent nous consulter, ne peut être simplement réalisée par bon cœur et donc, gratuitement. Ni être remplacée par l’écoute d’une personne non spécialisée. Ce passage peut sembler naïf cependant, comme l’aura mis en lumière l’anecdote en introduction, quand on parle d’argent, l’offre du thérapeute et la demande du patient peuvent s’entrechoquer.

Il y a d’ailleurs eu dernièrement de lourds désaccords entre les psychologues et le gouvernement concernant le dispositif « monpsy », qui a pour visée de brader nos méthodes de travail ainsi que nos tarifs (nous en reparlerons plus loin dans cet article). C’est pourquoi, plus que jamais, la question de l’argent en psychothérapie est source de tensions. Mais à la racine même du problème, qu’est-ce qui fait qu’il est difficile de sortir son porte-monnaie pour sa santé mentale ?

La santé mentale, le joker

La psychologie est une discipline récente qui ne convainc pas tout le monde. Nous avons tous déjà entendu d’un proche en souffrance ou en difficulté estimer ne pas avoir besoin d’aide, et encore moins de celle d’un psy. Pour certains, consulter est vu comme un aveu de faiblesse, même s’il s’agit juste de faire le point. D’autres considèrent ne pas en avoir besoin, et cela reste leur droit. Pour d’autres encore, ce sont des aprioris qui vont nous tenir à distance. Malheureusement les mentalités empêchent ainsi de prendre soin de notre santé mentale auprès d’un psy.

De nombreux patients ne parlent pas du fait qu’ils vont voir un psy à leur entourage, par peur d’être jugé, de devoir se justifier ou de recevoir des remarques. Il est vrai qu’avant même de parler du tabou de l’argent en thérapie, il y a le tabou de la thérapie en elle-même ! Même si les choses se libèrent petit à petit autour de la santé mentale, nous ne sommes pas au bout de la déstigmatisation ; alors que nous pouvons tous, à notre hauteur, transmettre au monde qu’il n’est pas grave de ressentir des difficultés et d’avoir besoin d’être aidé.

À mes yeux, les psychologues ont également pour responsabilité de démystifier le métier et être plus transparents par rapport à leurs approches et méthodes de travail. Aller chez le psy ne devrait pas créer autant de peur ni d’appréhension. Dans un monde parfait, nous devrions tous pouvoir nous poser ensemble et réfléchir à ce qui ne va pas, car on le ferait avec le regard de la bienveillance et du non-jugement. C’est ce à quoi j’aspire en tant que thérapeute, même si la réalité est toute autre.

S’il est donc normal de rencontrer un professionnel pour maintenir une bonne forme physique, cela ne s’applique malheureusement pas toujours côté psychique. Tant que cette affirmation perdurera, il sera toujours compliqué d’aller en psychothérapie. Et puis d’ailleurs, même si on décide d’y aller, la question perdure : combien devrait-on payer son psy ?

Faisons les comptes

Quand on rencontre un professionnel en libéral, nous n’avons pas trop le choix : il faut s’adapter au prix qu’il propose. Il doit être annoncé en amont de la consultation. Celui-ci peut varier d’un professionnel à l’autre, en raison de plusieurs critères, notamment en fonction de sa localisation et de sa formation. C’est dans Paris intramuros qu’on y trouve les prix les plus élevés, généralement auprès de professionnels spécialisés dans certaines approches spécifiques (EMDR, hypnose…).

Certains psychologues proposent d’ailleurs des tarifs adaptés aux étudiants et aux demandeurs d’emploi. Personnellement, j’estime que les difficultés financières ne devraient pas être un frein à l’idée de prendre soin de soi. J’encourage d’ailleurs mes patients à me faire part de toute difficulté financière qui entraverait le déroulement du suivi. Mais pourquoi ne pas adapter les tarifs pour tout le monde ?

Tout simplement, il faut que le psychologue puisse vivre de son activité. Le tarif de la consultation ne nous revient pas entièrement. Il faut prendre en considération le loyer (très élevé dans les grandes villes), les cotisations, les assurances, les éventuelles complémentaires, et les autres dépenses liées à la gestion du cabinet (logiciel de prise de rendez-vous, comptabilité, papeterie etc…). La majorité d’entre nous payons également des formations et des supervisions tout au long de notre carrière afin d’être à jour dans nos connaissances et notre pratique.

Il y a aussi l’envers du décor, avec les rendez-vous non-honorés, ainsi que ceux réservés pendant des semaines puis annulés à la dernière minute. À contrario des rendez-vous médicaux, il faut savoir que ceux chez le psy ont peu de chance d’être réservés de nouveaux. À l’heure des plateformes de réservations qui permettent de prendre et d’annuler un rendez-vous en quelques clics, on en oublie parfois qu’il y a un professionnel derrière, et que son salaire en dépend. Cela est d’ailleurs d’autant plus vrai pour les psychologues nouvellement installés et lors des périodes creuses.

Enfin, il faut savoir que de nombreux thérapeutes exercent en cabinet seulement à mi-temps, voire moins parfois, en complément d’une activité institutionnelle. Dans certaines régions, d’autres mettent la clé sous la porte faute de patients. Même si nous ne devons pas en faire une généralité, tous les psychologues ne s’y retrouvent financièrement pas dans l’aventure libérale.

La carte de la discorde

En parlant des tarifs exercés en libéral, un sujet qui revient régulièrement est celui de la méthode de paiement. Le psychologue choisit la manière dont il souhaite être payé, et certains choix ne plaisent pas nécessairement à tout le monde. Pour ma part, j’accepte les règlements par carte par praticité, sachant que certains patients éprouvent des difficultés à payer par espèce ou par chèque. Puisque les patients ont leurs préférences et leurs difficultés financières, un spécialiste de la santé mentale ayant un cadre qui leur est adapté devrait pouvoir être accessible pour tous. C’est l’un des objectifs des institutions.

En effet, un des avantages des structures publiques est la prise en charge des frais par l’État. Ainsi, les consultations de psychologie y sont gratuites. C’est le cas notamment dans les CMP, ainsi que dans d’autres services hospitaliers spécialisés. Plus besoin de réfléchir à son porte-monnaie, nous sommes garantis d’être accueilli sans débourser un seul centime. Il faut toutefois noter que le délai entre la demande de rendez-vous en institution et l’obtention de celui-ci peut être très long (plusieurs mois).

Le contexte économique actuel est bien évidemment à prendre en compte dans toute cette équation. Celui-ci n’épargne ni patient, ni thérapeute. Et ça, cela ne fait malheureusement pas partie des choses que nous pouvons contrôler.

La santé psy, laissée sur le carreau ?

En réalité, pour rendre la santé mentale accessible à tous, il faudrait que l’on puisse avoir des réglementations adaptées à tout un chacun. Nous parlions un peu plus haut du dispositif monpsy, nouvellement appelé monparcourspsy. L’objectif de ce dispositif serait de permettre le remboursement des suivis psys, selon plusieurs conditions. Certains patients y voient une aubaine leur permettant de soulager leur porte-feuille. Cependant, il convient de faire attention à ce qui est proposé. En effet, les conditions à remplir sont contraignantes et peu adaptées, pour le psy comme pour le patient. C’est pourquoi la majorité des psychologues s’y opposent fermement. Tour d’horizon de ce qu’impose monparcourspsy :

  • Une obligation de passer par un médecin afin de recevoir une prescription pour aller chez le psychologue. C’est partir du principe que l’ensemble des médecins peuvent recevoir les problèmes psychologiques des patients, sans y être formés. Ceux-ci ne sont pas spécialiste de la santé mentale et ne devraient donc pas être la porte d’entrée vers un suivi psychologique. Ils peuvent passer à côté de nombreux éléments et faire des erreurs d’orientation.

  • Une prise en charge financière limitée à 8 séances par an. La temporalité psychique ne peut pourtant se limiter à un nombre prédéfini de séance. 8 rendez-vous, c’est bien souvent trop court pour un accompagnement de qualité et risque de pousser des patients à arrêter leur thérapie à un moment inopportun.

  • Des séances de suivi dont la durée estimée se situe entre 30 et 40 minutes. C’est moitié moins que ce que proposent certains psychologues qui préfèrent travailler sur la base d’une heure, voire d’une heure et demie pour certains. Il me semble personnellement inconcevable d’établir un bon lien thérapeutique avec le patient avec des séances de 30 minutes.

  • Une prise en charge uniquement pour les personnes présentant des troubles « légers à modérés ». Pouvons-nous classer les personnes et leurs problématiques dans des cases ? Sur quelle base ? Ce que l’on décrit comme « léger à modéré » peut en réalité cacher des troubles bien plus importants et plus profonds. Le psychologue ne doit-il pas accueillir chaque personne dans sa singularité ? Que fait-on des « autres » ?

  • Un abaissement du tarif des psychologues à 30€ la séance. Comme dit plus haut, nous avons besoin de payer nos charges, faire tourner notre cabinet et vivre de nos revenus. Avec un tel tarif, le psychologue ne peut pas s’y retrouver. À Paris, il est littéralement impossible de vivre avec des séances à 30€.

Les psychologues qui sont contre ce dispositif ne sont pas contre l’idée de rendre la psychothérapie financièrement abordable. Nous souhaitons un meilleur remboursement de la part des mutuelles et une prise en charge par l’assurance maladie pour tous. Il est également important à nos yeux de laisser le choix au psychologue et au patient d’avoir le cadre qui leur conviennent le mieux. Ce que propose le gouvernement avec ce dispositif, c’est restreindre la psychothérapie en essayant de la faire rentrer dans un carcan. La santé mentale ne peut pourtant être simplement bradée, ni dans son cadre, ni dans sa valeur.

Qui s’y frotte s’y pique !

Et vous, quel est votre avis sur la question épineuse de l’argent en psychothérapie ? Si vous avez des questions ou des remarques, n’hésitez pas à commenter.

3 réponses à “L’argent en psychothérapie”

  1. Avatar de Hoeke
    Hoeke

    Bravo ! Article très clair, à diffuser…

    1. Avatar de Camille Lebreton

      Merci beaucoup pour votre retour. N’hésitez pas à le partager autour de vous !

  2. Avatar de Blaszczynski
    Blaszczynski

    Merci beaucoup pour votre travail et le temps passé à la rédaction de votre article très clair!

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