La maladie, on en parle ?

Parler de la maladie peut être difficile. En effet, ce sujet peut être tabou en société. Les raisons sont multiples : manque d’information, de sensibilisation, stigmatisation, déni… Nous pourrions en compter de nombreuses autres. Briser le silence est un défi qui est nécessaire pour tous, tant pour l’individuel que pour le collectif. Il incombe effectivement à chacun de faire ce pas, qui est si important, vers cette chose bouleversante, inquiétante, incompréhensible qu’est la maladie.

Conceptualiser la maladie

La maladie correspond à une altération de la santé ou des fonctions des êtres vivants, comme en témoigne sa racine latine male habitus signifiant qui est en mauvais état.

On oppose ainsi la maladie à la santé, et par extension, il arrive d’opposer personne malade et personne en bonne santé. Pourtant, nous pourrions concevoir la notion de santé comme un spectre sur lequel les individus se déplacent au cours de leur vie. L’OMS définit d’ailleurs la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »

Il convient donc d’interroger nos croyances quant à la maladie. Qu’est-ce qui fait la santé ou la maladie ? Qu’est-ce que l’on considère comme une personne malade ou une personne en bonne santé ? Il est d’ailleurs important de relever le lien entre physique et psychologique lorsque nous réfléchissons à ces questions. Peut-on être considéré comme étant en bonne santé si nous avons le moral au plus bas ? Est-ce qu’un bien-être psychique amène un bien-être physique, ou inversement ?

Vous l’aurez compris, penser la maladie comme concept est primordial. Il se peut que nous clivions les choses, pas nécessairement par choix mais par défaut, en mettant la notion de santé et de maladie dans deux cases distinctes. Cette perception est discutable et n’est pas forcément adaptée, car elle peut permettre à la division et la stigmatisation de s’immiscer. Aussi, ces concepts ne peuvent tout simplement pas être distingués de l’humain.

La maladie, cet autre

L’humain est un animal qui a besoin de comprendre son environnement et d’y mettre un sens. Pourtant, donner du sens à la maladie n’est pas une tâche aisée. Si l’on prend notamment l’exemple du cancer, on sait que chaque cellule de notre corps présente une probabilité de muter et de se transformer en pathologie cancéreuse. Comment s’expliquer que certaines personnes déclenchent alors ce type de maladie et pas d’autres ? Comment comprendre qu’indépendamment de notre contexte de vie, une maladie puisse nous tomber dessus du jour au lendemain ?

La maladie peut parfois être synonyme d’anéantissement. Il peut s’agit d’un simple ensemble de mots, prononcés par un médecin, qui condamne une personne à l’incurabilité, au handicap ou à la mort. La vie peut basculer ainsi dans l’effroi d’une seconde à l’autre. Comment faire de la place à ce concept qui peut tout nous ôter du jour au lendemain ?

Tout ceci est d’autant plus difficile à envisager, que les avancées médicales et technologiques poussent l’humain à se penser de moins en moins vulnérable. Et ceci n’est pas tout à fait faux : nous vivons plus longtemps, on prend les pathologies en charge de mieux en mieux, les vaccins se développent désormais à la vitesse de la lumière pour protéger la population comme nous avons pu le voir lors de la pandémie de COVID-19…

Ainsi, face à la maladie, la question « pourquoi moi ? » émerge de manière quasiment systématique. Nous aimerions pouvoir trouver une réponse toute faite à ce questionnement, comme si cela était possible, mais ce n’est malheureusement pas le cas. La maladie n’est pas un concept qui « décide » sur qui s’abattre. Souffrir d’une maladie est quelque chose de profondément injuste, mais il est inconcevable de croire que nous sommes invincibles : cela n’arrive pas qu’aux autres, et il convient de prendre conscience que nous ne sommes pas tout-puissants.

Déformer la réalité pour soulager le malaise

Déconstruire ce concept de toute-puissance peut mettre extrêmement mal à l’aise : nous n’avons pas vraiment envie de nous imaginer atteint d’une quelconque maladie, d’en expérimenter les symptômes, ni de nous penser mourir un jour. Cependant, nous devons ouvrir les yeux sur ces réalités qui sont désagréables, bien que nous n’ayons à les souhaiter à personne. Briser le déni général qui existe par rapport à cela est d’importance capitale car il est responsable, entre autres, du fait que les sujets liés à la maladie soient si taboues aujourd’hui.

Nous présentons d’ailleurs de nombreux biais psychologiques qui peuvent générer et perpétuer des croyances qui sont nuisibles et erronées. Pour en citer quelques uns, nous avons…

  • Le biais rétrospectif, qui est la tendance à juger a posteriori qu’un événement était prévisible. Ex : « Elle aurait du savoir qu’en buvant de l’alcool étant jeune, elle allait développer son cancer. « . Cela nous redonne un sentiment de contrôle d’envisager les choses ainsi et de se convaincre que l’on aurait pu faire autrement, mais cela est erroné car la maladie ne se prévoit pas.
  • L’appel à la probabilité, qui est la tendance à prendre quelque chose pour vrai parce qu’il y a une probabilité que cela soit le cas. Ex : « Le cannabis rend schizophrène.« . Ce biais crée une stigmatisation certaine, car il met les personnes et les éléments dans des cases pré-établies sans justification.
  • La loi du marteau, qui consiste à transformer la réalité d’un problème en fonction des outils dont on dispose pour le traiter. Ex : « Mon acupuncteur fait des merveilles, il pourrait te guérir de ta sclérose en plaques. « . Celle-ci laisse la place à la désinformation et l’ignorance, et cela n’est pas souhaitable.

Et puis surtout…

  • La croyance en un monde juste qui est la tendance à considérer que la bonne action d’une personne lui sera nécessairement bénéfique tandis qu’une mauvaise action lui sera nécessairement néfaste.

Cette croyance est délicate à aborder, car elle est notamment présente dans de nombreux esprits. En effet, nous ne pouvons prouver la véracité de cette croyance, même si nous sommes alimentés par la fiction et l’imaginaire collectif où les « gentils gagnent » et « les méchants perdent ». Malheureusement, le fait de déformer la réalité est un mécanisme de défense, et le collectif se charge bien de répondre à ce besoin à quiconque adhère à ses idées.

L’imaginaire collectif

Certaines pathologies ont la peine d’avoir une image négative, et ce, car la société a fait le choix que cela en soit ainsi. Prenons le SIDA, dont l’apparition a engendré des décennies de stigmatisation et d’horreur pour les personnes l’ayant développé. Aujourd’hui, tout le monde ne sait pas que le SIDA peut désormais être indétectable et non-transmissible grâce aux prouesses de la médecine, et que l’on peut vivre une vie tout à fait normale tout en en étant atteint. A contrario, nous avons tous dans nos esprits les images et les mots dégradants que la société a fait marquer au fer rouge sur cette maladie.

D’autres ont également leur lot de stéréotypes ou ne sont même pas considérées comme légitimes, comme la fibromyalgie, qui pour certains est considérée comme une maladie que l’on s’invente et qui s’explique par de la « dramatisation » et de « l’exagération ».

Il est possible de faire marche arrière, de réaliser que nous nous sommes trompés individuellement et collectivement, et que nous avons mis des centaines de milliers de vies humaines de côté par ignorance ou par peur. Cependant, beaucoup trop de choses seraient à déconstruire, et ce, à très grande échelle.

La maladie peut nous changer physiquement, nous mettre en situation de handicap, nous rendre dépendant, nous mettre dans des conditions où l’on ne peut plus travailler…. Dans une société où l’on valorise toujours plus l’individualisme, la productivité, et où l’image de soi est primordiale et constamment mise en avant, il est évident que faire de la place à un tel concept est un défi.

Nous pourrions aussi parler des pathologies qui ne sont pas « glamour » et qui sont donc mises de côté encore plus, car rebutantes et touchant aux tabous de l’intime. Pensons alors à la maladie de Crohn, à la rectocolite hémorragique et au cancer de la prostate, pour n’en citer que quelques uns. Peut-on vraiment parler en société de diarrhées sanglantes et glaireuses ? Du fait que l’on puisse porter une stomie, et que notre urine et nos selles soient recueillies dans une poche prévue à cet effet ? Qu’il faut effectivement subir un toucher rectal régulièrement pour vérifier que tout va bien ? Malheureusement, parler de tout cela est délicat, et les personnes malades finissent souvent par se retrouver seuls.

Bon alors, du coup, comment on en parle ?

Poser cette question revient à imaginer qu’il puisse y avoir de bonnes ou de mauvaises manières de faire. Rappelons-nous que nous sommes avant tout humains, et que nous ne pouvons tout simplement pas être parfaits. Tant que nous sommes armés de bonnes intentions, alors toute situation où l’on lance le sujet est bonne à prendre !

Pour essayer d’être la plus exhaustive possible, j’ai regroupé différentes questions et réflexions qui m’ont été adressées par des patients, qu’ils soient malades ou qu’ils fassent partie de l’entourage d’une personne qui l’est. L’idée est de déconstruire nos croyances et idées préconçues qui peuvent être bloquantes. On y va ?

Quand on est un proche

  • « J’ai peur que de parler de sa maladie va lui rappeler sa condition ». En réalité, nous n’oublions pas que la maladie vit avec nous. Elle fait partie de notre personne au quotidien, et cette partie ne peut tout simplement pas être ignorée.

  • « Comment savoir si la personne veut en parler ? ». Pour celle-ci, c’est tout simple : on lui demande directement ! Il n’y a aucun risque que cela soit mal interprété. Cela montre tout simplement que vous démontrez de l’intérêt pour l’autre, ce qui est véritablement positif.

  • « J’ai peur que la personne s’effondre si on en parle ». C’est une réflexion intéressante, car elle montre que nous ne sommes pas nécessairement à l’aise avec nos émotions et celles des autres. Ce n’est pas grave de partager un moment où l’on pleure, où l’on se met en colère contre le monde et où l’on se laisse ressentir l’injustice et la tristesse. Au contraire, il est important d’extérioriser ses ressentis, cela pourrait d’ailleurs renforcer votre lien à l’autre d’autant plus.

  • « Je ne veux pas déranger l’autre personne ». Je pense que pour éviter cela, tout est question de communication. Vous avez le droit d’avoir envie d’échanger sur la question, toutefois cela doit se faire dans le respect des limites de l’autre. Nous pouvons signifier à l’autre qu’il est important pour nous d’ouvrir le sujet, mais que nous le laissons faire quand le moment lui sera opportun. C’est d’ailleurs à la personne concernée de décider ce qu’elle souhaite partager avec nous. Aussi, une phrase toute simple peut solutionner ce problème : « je suis là pour toi, tu peux compter sur moi si tu en ressens le besoin ».

  • « J’ai peur que cela soit compliqué pour moi émotionnellement ». C’est un risque qu’on ne peut pas éviter, et dont l’évitement n’est au contraire pas souhaitable. Comme dit plus haut, exprimer ses émotions est important, et ce pour tout un tas de raisons. Évidemment, se reposer sur l’autre pour qu’il nous aide à gérer nos émotions n’est pas idéal, sauf si cela est clairement consenti. Ce n’est pas un mal de montrer ses émotions : la situation est touchante, et l’exprimer ainsi est parfaitement adapté. C’est d’ailleurs en expérimentant ce genre de moments que l’on réalise que ce n’est pas si terrible qu’on se l’imaginait.

Quand on est malade

  • « Je ne veux pas être un poids pour l’autre ». Je pense que nous pouvons répondre à cette réflexion de manière assez directe : quiconque nous considère comme un poids mérite que nous réfléchissions sur la relation que nous entretenons avec cette personne. La question des limites reste d’ailleurs capitale, car nos proches ont les leur également. Sont-ils disponibles, ouverts, et capables d’entretenir une conversation sur le sujet ? Si ce n’est pas le cas, nous pouvons trouver d’autres personnes pouvant se tenir à notre disposition pour ce faire. La situation peut être perturbante et difficile pour nos proches, et nous avons le devoir de respecter cela également.

  • « Ils ne comprendront pas ». Cette affirmation se fonde sur une base qui n’est pas totalement erronée, car les autres ne peuvent vivre la maladie à notre place. Ainsi, ils ne peuvent peut-être pas se saisir entièrement de chaque difficulté et de chaque détail qui accompagne celle-ci. Cela-dit, est-ce que communiquer sur le sujet ne pourrait pas faciliter leur compréhension et au contraire, permettre des échanges intéressants ?

  • « Je vais gâcher l’ambiance si je parle de tout cela ». Notre cercle social est supposé nous accepter pour qui nous sommes, et cela inclut les moments difficiles. Aussi, peut-on vraiment dire que l’ambiance est « gâchée » quand l’on prend le temps d’écouter, de soutenir et d’être disponible pour une personne que l’on apprécie ? Quand l’on garde les choses pour soi, c’est prendre le risque qu’elles s’accumulent et qu’elles nous fassent vivre un mauvais moment…. plus tard. Ne serait-ce pas alors repousser le problème ?

  • « J’ai trop honte pour en parler ». Nous avons le droit d’aller à notre propre rythme, ainsi si ce n’est pas le bon moment pour nous, cela est parfaitement entendable et personne n’a le droit de négocier cela. Aussi, puisque l’on ne choisit pas d’être malade, pour quelle raison devrait-on ressentir de la honte ? Nous ne sommes inférieurs à personne, et nos problèmes non plus. Nous restons une personne de valeur quoiqu’il arrive et la maladie ne peut tout simplement pas prendre cela, car cela ne fonctionne pas ainsi. Malgré la maladie, nous méritons toujours d’être aimé, accompagné, entendu, soutenu, et choyé.

Parler avec le monde

Pouvoir échanger et déstigmatiser avec notre entourage est déjà un grand pas, puisque agir à notre échelle est important et nécessaire. Cependant, est-ce suffisant ? Pas forcément. Il serait également idéal que nous prenions tous un mégaphone et que nous partions parler avec le monde. Pourquoi ?

Car il serait génial d’avoir plus de visibilité pour les personnes malades et leurs proches, qui sont bien souvent oubliés.

Car la maladie est humaine et qu’elle est donc inhérente à nous tous.

Car les services hospitaliers regorgent de gens qui ont perdu le contact avec leurs proches.

Car il y a trop de personnes qui regrettent de ne pas en avoir parlé.

Car notre société manque encore d’accessibilité pour tous à bien des égards.

Car il n’est jamais trop tard pour que les choses changent.

Car il n’y a rien qui différencie une personne malade d’une personne en bonne santé.

Et car la peur de la maladie devrait reculer, tout simplement.

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